Sur quels mythes vivons-nous aujourd'hui?
Introduisant le propos, Michel Maffesoli évoque rapidement le cheminement de la démarche de l’observateur social, rappelant les fondements de l’Ecole Française de sociologie et l’idée de l’économie de soi et du monde.
A l’inverse d’une forme de saucissonnage intellectuel qui découpe et intellectualise les réalités sociales, Maffesoli nous rend attentif à une posture inspirée d’une tradition allemande de l’expérience, du vécu social, profondément inscrite dans la vie quotidienne, et qui pourrait selon lui nous aider à penser en globalité.
Rebondissant sur ce thème, il nous rend attentif à ce que Pareto a appelé plus tard « la porosité » et « l’action non logique » de la réalité sociale ; forme de puissance multiforme du spirituel, qui prend place au coeur de nos valeurs et de nos pratiques, et qui dessine dieux et totems. Cette vision de l’esprit, ce moment où les sens reprennent l’importance dans l’expérience sociale donnent à penser le passage de l’Homo economicus à l’Homo aestheticus.
Serge Moscovici s’étonne que l’on puisse encore parler de manière distincte de sociologie, de psychologie, etc. Il préférerait évoquer ce qui unifie l’homme, c’est-à-dire les différents systèmes de croyance quels qu’ils soient et qui définissent le sujet en Homo Creder. Il s’agirait de proposer une épistémologie de l’unification des champs du savoir.
Le mythe constitue alors à ses yeux une forme pertinente dans l’approche de la croyance.
Revenant ainsi sur le mythe, Moscovici rappelle qu’ils sont des êtres involontaires. De même que l’on ne pense pas un rêve, le mythe se vit de manière ordinaire, et absolue. La pensée mythique, de ce fait, n’est pas une pensée profonde. Tout doit se passer à la surface, elle ne s’articule pas sur du je ou du moi, ni sur le désir. Naissant du bavardage, de la combinaison des expériences et des allusions, le mythe est une narration quelconque qui se construit au fil de la vie sociale.
Le mythe produit cette transformation de l’acteur en spectateur, du vécu en vérité. Lent processus de modification, de participation, le mythe donne un sens au vécu, il est une blague, même si le sérieux du rituel demeure. Il est une connaissance du sens commun et une véritable inscription dans la réalité sociale.
Deux dynamiques sont à remarquer. D’une part, la concentration. A partir d’un germe d’imaginaire et de symbolique, notre culture produit le mythe par le biais du nom. Chaque nom propre est une forêt d’image qui croît et se développe. A ce propos, W. Benjamin a d’ailleurs parlé de surnomination. D’autre part le mythe est lié à la masse. Par définition, il se constitue sur des figures ordinaires, et non pas sur des héros d’exception. Chacun doit pouvoir s’identifier. Ainsi les médias participent de ce processus, non seulement comme appareil du mythe (diffusion de la figure mythique, instrument de partage d’images fondatrices), mais aussi dans la substance même du mythe (notamment dans le cas Monica Lewinski, ou Princess Diana).
Poursuivant le propos, André Akoun rappelle que parler, ce n’est pas forcement dire quelque chose, mais c’est aussi organiser une relation de reconnaissance réciproque. Il s’agit de la première fonction du langage, celle de la contractualisation, la fonction sociale. Et dans le contexte de la modernité avancée, l’absence de dieux ou de maîtres, est comblée par la production d’une narration mythologique.
D’autre part, un renversement radical s’est opéré, on ne dit plus l’homme, on dit moi, on se situe alors dans une recherche de la particularité. S’oppose ainsi l’universalité de l’homme au particularisme du soi. Ce remplacement s’illustre par l’identification à des modes, à des petits mythes, des mythicules.
Akoun prend l’exemple d’oedipe. Originellement scène de théâtre mettant en scène la généalogie, cette figure devient une scène intérieure avec Freud, dans un processus de psychologisation du social.
Ainsi se construisent trois aspects de notre culture, le particularisme ; la transparence (on peut tout dire, il n’y a pas de fond) ; et la communication tendant vers la non-communication.
Nous ne serions plus alors dans l’époque des mythes, mais dans l’éphémérisation des moments de vie et de croyance.
Répondant à Serge Moscovici, Maffesoli revient sur le thème de Wittgenstein, la non-propriété privée de la pensée. Ces petits mythes n’existeraient que par rapport à la mobilisation de mythes plus archaïques. Cette dynamique serait celle de la régrédience.