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du 8 mars au 20 avril 2019

Artistes : Paul Van Der Eerden et Elmar Trenkwalder.

La première exposition personnelle de Paul van der Eerden à la galerie a eu lieu en 1998. Elmar Trenkwalder a participé à l’exposition « e pericoloso sporgersi » en 1997 avant sa première exposition personnelle en 2003. C’est à ce moment que Eerden et Trenkwalder se sont connus et ils n’ont cessé depuis de correspondre, d’échanger parfois de retrouver leurs œuvres
dans des expositions collectives. À l’occasion des 35 ans de la galerie, j’ai voulu mettre en évidence ce dialogue. Bernard Jordan

 

Parmi les dessins récents de Paul van der Eerden, il y en a un, Sans titre, comme le sont la plupart d’entre eux, qui intrigue par son apparente simplicité. Au premier regard, le contour schématique, tracé au crayon, suggère l’image d’une main posée sur un fond bleu-ciel. Dans un geste de « pistolet », la main pointe du doigt et vise. Mais en contemplant ce dessin de plus près, la main se révèle également comme un portrait de profil. L’œil grand ouvert, perché au-dessus du nez, regarde au loin, au-delà de l’espace pictural. Cette fusion graphique de la main et du regard, comme dans une illusion optique, constitue un commentaire sur le processus du dessin. L’œil et la main sont des véritables complices, prêts à se lancer dans leur trajectoire imprévisible sur la surface de la feuille.

Paul van der Eerden a dit à maintes reprises qu’il ne travaille pas à partir d’idées. « Il n’y a pas de véritable idée ou d’intention derrière mon travail. Je commence à dessiner, et puis les choses évoluent et suivent leur chemin jusqu’à ce que ça s’arrête, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’élan.(1) » Mais certaines images, ou thèmes, réapparaissent dans ses œuvres : des parties du corps schématisées, entassées ou agencées pour créer des motifs géométriques ; des visages aux yeux grand ouverts et la bouche béante ; des corps de femmes dépecés, les jambes écartées ; des personnages qui s’étranglent, ou qui s’engagent dans une forme d’activité sexuelle. Caricaturaux et brutaux, maladroits mais glaçants, ses dessins explorent la gamme complète des émotions et des comportements humains, laissant le spectateur à la fois médusé et déconcerté.

Mais malgré toute leur violence, ces œuvres révèlent une fine cohérence formelle. L’artiste dessine avec la maîtrise et la précision d’un bijoutier. Aucun trait ne paraît mal placé, aucune couleur, aucun contour ne paraît ni incongru ni accidentel. Rarement plus grands que le format A4, les dessins invitent l’œil à se rapprocher. Le regard est attiré par la diversité des matières, telles que la brillance métallique des couches de graphite superposées, ou par la douceur texturée des tons nuancés au crayon de couleur. Dans certains dessins, le fragile papier népalais, support privilégié de l’artiste qui confère à l’image une luminosité diffuse, se froisse et se déforme sous la pression de la pointe du crayon ou de celle du feutre.

L’inspiration du jour peut venir de n’importe où. Paul van der Eerden commence souvent par circonscrire l’espace dans lequel la main aura libre cours, en traçant une ligne autour du bord de sa feuille. Un extrait d’un poème ou d’un texte ou un souvenir visuel surgi de son immense « archive intérieure d’images », peut éveiller son imaginaire et ainsi guider la direction de sa
main. Des mots et du texte figurent dans plusieurs de ses œuvres. Ils ne sont pas écrits mais dessinés, le poids et la couleur des mots faisant partie intégrante de l’image. Dans I am the eye…, le passage du poème de Shelley, Hymn of Apollo, inscrit sur un fond rectangulaire noir, constitue un point d’ancrage visuel. Il confère au dessin une force graphique toute en accentuant l’atmosphère d’appréhension.

(1) Paul van der Eerden cité dans Patty Wageman, « Read while looking slowly » in cat. Sad Alchemy, Eelde, Museum De Buitenplaats, 2018, p. 65.

D’autres dessins sont nourris de références aux œuvres de l’histoire de l’art et aux images de la culture populaire, notamment aux enluminures de manuscrits médiévaux, aux dessins de la Renaissance, à la peinture abstraite du début du 20ème siècle et aux images de bandes dessinées. Le souvenir de « quelque chose de médiéval » a donné naissance à un dessin au format plus grand, Sans titre (2017-033), dessiné à l’encre, au crayon de couleur et au feutre rouge. L’image d’une créature qui ressemble à un dragon se répète et se déploie sur la feuille ; ses contours irréguliers contrastent avec le motif géométrique sous-jacent et génèrent une sensation de mouvement kaléidoscopique. Ce dessin fait partie d’une série, dont l’ensemble est dessiné au feutre rouge et peuplé d’images déjà familières : des visages schématisés aux yeux grands ouverts et à la bouche béante, des femmes aux jambes écartées et des mains mimant un pistolet. Mais ce qui intéresse l’artiste,
au-delà de la charge émotionnelle de ces images, c’est la résolution des problèmes picturaux qui surviennent en dessinant, et l’exploration des possibilités infinies du dessin.

C’est sans doute cette passion pour le processus, l’acte de faire, qui relie les pratiques respectives de Paul van der Eerden et d’Elmar Trenkwalder. Les sculptures architecturales en terre cuite émaillée de ce dernier révèlent une prolifération de formes phalliques et vulvaires, agencées ou emboîtées dans une sorte de fusion idéale et ornementale du féminin et du masculin.

Rigoureusement construites mais profondément intuitives, elles invitent le regard à pénétrer un univers onirique d’une sensualité troublante. Un dessin de 2002, WVZ 1124 (2), en dit long sur le processus de l’artiste. Il représente une main, tracée au crayon, aux traits sensuels et superposés. Chacun des bouts des doigts est transformé en gland, et intégrée dans la paume se trouve une forme qui suggère un œil et la vulve. C’est la main qui voit et qui ressent, qui transforme l’énergie sexuelle, lui donne une forme matérielle et visuelle.

Au-delà de l’omniprésence de formes et d’images sexuelles dans les œuvres des deux artistes, leurs pratiques sont caractérisées par un mélange savant de maîtrise et d’intuition. Chacun produit des œuvres très abouties, tout en laissant des traces palpables des gestes de la main. Le déploiement kaléidoscopique d’images et de textures dans les dessins au feutre rouge de Paul van der Eerden fait écho au foisonnement symétrique et tactile des détails dans les sculptures d’Elmar Trenkwalder. Comme Paul van der Eerden, qui délimite la bordure de sa feuille par un trait, Elmar Trenkwalder va souvent commencer une sculpture par une forme abstraite, c’est-à-dire par une plaque d’argile en forme de cercle, de carré ou de rectangle, à partir de laquelle les formes opulentes vont se développer au fur et à mesure du processus de la création.

Ce procédé est mis en évidence dans ses sculptures les plus récentes qui impressionnent par leur hauteur. Des déités ou des personnages étranges trônent sur des hautes colonnes ornées de motifs géométriques, anatomiques ou végétaux. Leur monochromie blanche accentue le relief
des surfaces modelées et y instaure un jeu d’ombre et de lumière. « Normalement, lorsque je sculpte de bas en haut, dit l’artiste, je me rends compte à partir d’une certaine hauteur que les formes s’assemblent les unes aux autres et que tout est parfaitement coordonné, comme dans une
équation mathématique. Tout repose sur tout et en même temps, tout change en permanence car je prends sans cesse de nouvelles décisions pendant le travail de création.(3) » Les colonnes, ou les socles de ces œuvres nouvelles semblent constituer la fondation même du processus créatif, à partir de laquelle la matière se transforme pour incarner, dans la profusion de détails, une présence spirituelle.

 

(2) Elmar Trenkwalder donne à chaque œuvre un numéro d’inventaire précédé des lettres WVZ, WerkVerZeichnis ou « numéro d’inventaire ».
(3) Entretien avec Dorothee Mesmer, « Il faut de l’improvisation, et une grande liberté », in Elmar Trenkwalder, Snoeck, 2012, p. 7.

Diana Quinby

Dates
8 mars - 20 avril 2019
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
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