Respawn
Artistes : Stefan Bertalan, Nicolas Deshayes, Francesco Gennari, Karen Kilimnik, Gianni Politi.
« Il existe différentes manières de définir Dieu. Il semblerait cependant que l’une d’entre elles soit la plus appropriée pour expliquer en réalité le cycle de la vie et de la mort. Partant du principe que dans toute religion Dieu reste une information majeure et première, l’étourdissement que nous ressentons tend à s’effacer au moment où nous essayons de voir plus loin que la vie au milieu de l’abîme de l’inconnu. Si Dieu est en effet une information alors la Mort l’est tout autant; le mystère qui l’entoure fait partie de cette information au sujet de Dieu, de la même façon que le sommeil fait partie de la vie, ou que la main fait partie du corps.
Selon Marc-Aurèle, la mort fait partie de la vie ou, plus précisément, “elle fait partie de la Nature”. A cela nous pourrions ajouter que notre connaissance de la mort ne serait due que grâce à cette dernière. Dans son IXème livre des Méditations, l’Empereur-Philosophe écrit: “et puisque tu attends bien le jour où ta femme mettra au monde l’enfant qu’elle porte en son sein, de même aussi tu dois accueillir l’heure où ton âme se délivrera de son enveloppe”.
Alors, tandis que nous voulons nous convaincre qu’il soit décidément possible d’adopter une attitude stoïque au moment de quitter cette vie, Marc-Aurèle nous invite à penser à ceux qui ne partagent pas nos valeurs, à ceux que nous quitterons à l’heure de notre décès. D’où: “Ô mort, ne tarde plus à venir, de peur que je n’en arrive, moi aussi, à me méconnaître autant qu’eux !”
Nous passons ainsi d’une conception de la mort en tant que fin à une libération, une régénération (respawn). La renaissance de Super Mario, archétype des jeux vidéo et incarnation de l’éternel retour, n’est pas tributaire d’une programmation (en tant qu’architecture d’informations) qui le régénère à l’infini, mais du joueur qui lui transmet quelques-unes de ses compétences le temps d’une partie. Il faut croire que si personne ne “joue” avec lui, Mario n’est que virtuellement vivant, et de là revient l’âme qui “se délivrera de son enveloppe”, une image typique des Jugements Derniers de la Renaissance, en partant de celui de Michel-Ange pour la Chappelle Sixtine. En réalité, Mario est de toute façon mort, même lorsqu’il court vers sa cible, puisque contrairement au joueur dont il n’est qu’une projection, Mario n’a aucune notion de lui-même et ne pourra jamais en avoir.
N’est-ce pas ici l’identique effort cognitif que nous constatons chaque fois que nous tentons de surmonter les plans dont la nature use pour mettre au défi notre instinct de survie? Peut-être est-ce en chacun de nous lorsque nous voulons vérifier le monde d’information dans lequel nous baignons, en commençant par celui de Dieu.
Stefan Bertalan (Răcăştie, 1930 – Timişoara, 2014) a représenté la Roumanie à la 46ème Biennale de Venise en 1995, où il retourna en 2013 l’année précédant son décès, en tant qu’invité au Pavillon International. Il a passé sa vie professionnelle à la recherche des métaphores pour dépeindre l’acte de pensée et ses structures. Son champ d’expérimentations était l’être humain, à l’intérieur duquel il a tracé une trajectoire à certains égards similaire à celle que poursuit Nicolas Deshayes (Nancy, 1983). La dialectique entre intérieur et extérieur – qui caractétise le travail de l’artiste français depuis ses débuts – se révèle être une matrice plus humaniste que formelle. La couleur, la forme et la matière sont les instruments d’une expression au service de dualismes – pour la plupart assymétriques – dont le dessein est l’introspection.
Karen Kilimnik (Philadelphie, 1955) reste dans le domaine de la peinture; elle est représentée ici par une toile symboliste doucement suspendue entre le jour et la nuit. Ce qui pourrait nous sembler au premier coup d’oeil à une cascade jaune peinte sur la droite du tableau est en réalité une patte animale flottant au milieu des sous-bois dans une posture interrogatrice. Où suis-je? Où vais-je? Ces questions ne peuvent se poser à soi-même, et il s’agit du terrain sur lequel travaille avec cohérence Francesco Gennari (Pesaro, 1973). ‘Sempre io/Toujours moi’, le titre de l’oeuvre ici exposée, est un défi formel au concept de double que Gennari entend comme une barre métallique linéaire de section carrée, parfaitement divisée par l’or et l’argent, entre lesquels passe l’idée d’infini. Á l’instar de l’animal de Kilimnik qui s’appuie sur un sol mou, la rigide horizontalité du métal évoque le support sur lequel repose cette hampe.
Le tableau de Gianni Politi (Roma, 1986) se dresse contre le mur, et ses intentions sont clairement résumées dans le titre que l’artiste lui a donné; le “je” en question n’est pas absolu mais personnel, intime. Les faits dont il est question concernent qui les a vécu. L’information se fait journal intime. Mais le serpent flanqué contre le cadre nous rappelle que le présent est la seule chose qui existe vraiment. »
Stefano Pirovano, 2019