Architectures corrompues
Le thème concerne l’architecture, abordée sous l’angle polémique de la corruption.
Il fallut l’instinct d’une femme – une femme d’arts comme on dit un homme de lettres – pour percevoir l’intuition de correspondances entre François Roche et Michel Maffesoli. C’est une pensée féminine, celle d’Angeline Scherf, critique d’art et commissaire d’exposition, qui permit la rencontre du sociologue et de l’architecte, et dont chacun s’accorde à dire que tous deux débordent respectivement la sociologie et l’architecture. Il fallut l’instinct d’une femme, donc, pour savoir saisir chez les deux hommes ce qui rattache leur pensée au monde-de-la-vie, effleurant les limites caractéristiques des disciplines, et embrassant volontiers une philosophie plus large. Reconnaître ce qui est ; « l’architecture n’est pas morale » dit F. Roche, « la responsabilité sociale est une hypocrisie. »
Parmi ces correspondances, notons une sensibilité commune autour de la question de la technique. Celle-ci, objet de réenchantement, devient l’opérateur de la défonctionnalisation, du contournement, et fait de la « machine à habiter » un espace de débordement du ludique et de l’inattendu sur la rentabilité de l’espace. La mise en formes qu’il en résulte est vecteur de transformation, et rend aux habitants leur faculté d’occupation, de réhabitation et de contournement. En deçà ou au-delà de tout a priori.
Souvenons-nous juste un instant de ce mot proposé en son temps par Asger Jorn, qui par le terme d' »inutilisation », donna un nom à cette pratique de l’utilisation à contre-fonction. C’est là tout un regard sur la vie sociale, et sur son mode de vivre qui est abordé ; un regard proche de celui de Patrick Tacussel – troisième homme -, qui proposa l’idée de l’espace contre et de l’espace pour. Le premier est un espace réactif, utilitaire, industriel, politique, celui de la fixité. Le second est résiduel – intersticiel dirait Maffesoli -, il est poétique, réenchanté, mais aussi risqué, accidentel. Peut-être corrompu.
Ainsi Roche et Maffesoli ouvrent une possibilité de technophilie. Au-delà d’une posture moderne pour laquelle la technique mène à la série – aux espaces sériels -, au standard, au retour du même, et privilégie le rapport des hommes aux choses, il pourrait exister, dans le rapport que cette technique permet d’opérer autour de ces potentiels, une inversion – corruption? -, mettant alors l’accent sur tout un imaginaire social, un échange, une singularité. Retrouvant alors la proposition de G. Simondon sur une possibilité de l’optimisme, la technique serait alors une condition de circulation non plus seulement du sujet à l’objet – rapport de prédation -, mais bien plutôt celle d’une reliance, cette puissance que la personne entretient avec le milieu, avec le local, et avec l’espace architectural.
SH