Rosa Luxembourg, L'Hérétique
Michel Maffesoli a choisi ici de se consacrer à un personnage central, que l’on peut considérer comme une des sources de la postmodernité : Rosa Luxemburg.
La pensée et l’action de Rosa Luxemburg revêtent un caractère exemplaire à la lumière de notre vécu : avec elle, on voit se profiler la sensibilité écologiste, l’affirmation du rôle des femmes, une spontanéité vitaliste, un indéniable pacifisme -dans une période qui n’y prédisposait pas – et la nécessité de la passion dans l’organisation de la vie sociale.
Tous ces « ingrédients » se retrouvent dans les révoltes, rebellions et sursauts divers qui marquent et marqueront de plus en plus nos sociétés.
Michel Maffesoli a ouvert cette première séance de l’année en en dévoilant ce qui en sera le fil rouge : la postmodernité. Constatant le peu de débat sur ce thème en France, sans doute lié à une peur face à l’absence de définition et de conceptualisation de cette notion, il souhaite que les Rendez-Vous de l’Imaginaire de cette année dressent les contours de cette postmodernité en faisant voir ce qui est en train de se dégager dans notre société contemporaine.
M. Maffesoli a ensuite introduit la séance du jour, consacrée à Rosa
Luxemburg et au livre d’Alain Guillerm, Rosa Luxemburg, la rose rouge.
Saisissant dans l’oeuvre et la vie de Rosa Luxemburg une préfiguration des idées-forces de la postmodernité, M. Maffesoli dégage cinq pistes qui justifient cette anticipation. La première, c’est la sensibilité libertaire, qu’on retrouve dans l’histoire du mouvement ouvrier et qui est aussi une figure de la postmodernité. La seconde piste est celle de la spontanéité des masses. L’oeuvre de Rosa Luxemburg se positionne contre le mépris du peuple à l’oeuvre dans le léninisme et le stalinisme, pour qui la conscience du prolétariat est détenue par les intellectuels. Ce dogmatisme, qui a abouti à une dictature sur le prolétariat, est toujours vivant dans la chose politique. C’est dans son positionnement contre un tel mépris que M.Maffesoli voit un autre aspect prospectif dans l’oeuvre de Rosa Luxemburg. La troisième piste est celle de la passion au coeur de sa vie. Celle-ci peut être rattachée à l’importance de la féminitude lors de chaque rupture
civilisationnelle ; M. Maffesoli évoque ainsi les Bacchantes, la place des femmes dans la Renaissance, Vienne fin de siècle ou encore les Dames Galantes à Rome. La Commune de Munich est la quatrième piste évoquée par M. Maffesoli, en ce qu’elle montre bien la jonction de la quotidienneté et de la rébellion, et donc l’idée de proxémie qui, par opposition à une politique lointaine, est un des aspects de la postmodernité. Enfin, l’accent est mis sur le grouillement culturel, la dimension holistique de l’oeuvre de Rosa Luxemburg, ainsi que la dimension écologiste avant la lettre. Toutes ces pistes font enfin apparaître Rosa Luxemburg comme une hérétique, contre tout
conformisme de la pensée.
Alain Guillerm a d’abord souligné l’importance de la figure de Rosa
Luxemburg : avec Hannah Arendt et Simone Weil, elle est l’une des trois grandes femmes philosophes et théoriciennes qu’a connu le XXème siècle. Il a ensuite présenté son livre en retraçant la vie de Rosa Luxemburg, depuis sa naissance en 1871 en Pologne, en passant par ses études, sa formation d’économiste, son mariage et ses passions amoureuses, son entrée dans la social-démocratie allemande, l’écriture de L’accumulation du capital en 1912, son emprisonnement, jusqu’à son assassinat par les corps francs à Berlin en 1919. Dès son entrée dans la social-démocratie, elle critique la théorie disciplinaire de Lénine au nom de la spontanéité des masses. Elle
est ensuite emprisonnée pendant toute la guerre car elle s’oppose à l’
attitude du parti social-démocrate qui vote les crédits de guerre. Dans son ouvrage La révolution russe, elle dénonce la dissolution de l’assemblée constituante, la suppression des comités d’usine et leur remplacement par des directeurs d’usine plus autoritaires que les patrons classiques, la terreur, l’absence de liberté. C’est tous ces aspects qui font de Rosa Luxemburg une hérétique à l’intérieur du marxisme, et qui justifient l’intérêt porté à son personnage.
Georges Lapassade fait quant à lui part de ses impression de lecteur. Il souligne l’aspect romanesque, vivant, du livre d’Alain Guillerm. L’ouvrage, en entremêlant continuellement le récit de vie avec les dimensions politiques et la situation internationale, mêle le caractère privé aux dimensions philosophique et politique de la vie de Rosa Luxemburg. De la même manière, l’ouvrage d’A. Guillerm met en exergue la pensée de l’intervention qu’elle celle de Rosa Luxemburg, où la réflexion et le militantisme sont indissolublement liés. Enfin, si l’effondrement du mur de Berlin désigne l’effondrement d’une pensée, qui s’enracine chez Hegel et Marx, et de problèmes qui sont devenus inactuels, c’est alors l’aspect romanesque et le récit de vie qui permettent d’éviter l’écueil du commentaire historique d’une pensée qui n’est plus la nôtre.
Rémi Hesse s’est attaché à montrer l’actualité de la pensée de Rosa
Luxemburg. Il relève dans le livre d’A. Guillerm les éléments qui sont
donnés pour voir chez cette femme la gestion de l’interculturalité. Les voyages de Rosa Luxemburg, ses voyages intellectuels mais aussi son itinérance à travers l’Europe, son errance dans les langues puisqu’elle parle le polonais, le russe et l’allemand, entrent en correspondance avec la dimension interculturelle et transnationale de notre monde contemporain.