Les errances urbaines
L’intérêt de Michel Maffesoli pour le poète et le romancier, vient de ses propres préoccupations de sociologue. Yves Simon est, de ce point de vue, un véritable renifleur du social par son observation, son incantation audacieuse de la vie de Paris. Il partage avec lui l’enracinement dans le thème du voyage, de l’errance qui est le thème de La voix perdue des hommes .
Dans cet ouvrage, Yves Simon retrace les cours et les recours de l’histoire à la manière d’un Charles Fourrier, et l’utopie des « amours papillons », des surréalistes comme dans « L’amour fou » ou « Nadja » de Breton et de la dérive psycho-géographique des situationnistes entre une intimation objective et la subjectivité en perdition, la rencontre à l’époque des portables, une synergie entre l’archaïque et la technologie.
Cette lettre de noblesse d’Yves Simon met sur scène des personnages typiques de cette errance urbaine : Andréa, le prêtre, son scooter et son portable ; Milos, le peintre à l’exil ; Louis, l’aveugle voyant ; Léna, la prostituée ; Ismalia, la beurette. Ce sont là les errances qui nous constituent pour ce que nous sommes. Le travail du romancier est une typologie à travers la caricature et le recours à l’idéal type, qui est le propre d’une sociologie compréhensive.
Ami de longue date, Jacques Rigaud retrace son parcours et son amitié à Yves Simon. L’écrivain est créateur, il est le privilégié qui a accès à l’imaginaire, le pouvoir divin d’inventer des personnages et de savoir donner vie à une histoire, cette vertu créatrice qui fait que la nature humaine participe de la divinité, ne fut-ce que pour un bref instant.
Il reconnaît la solitude dans la ville, le sentiment d’être seul dans une masse humaine et la douleur qui l’accompagne dans les personnages typiques d’Yves Simon qui en rendent compte avec ce qu’elle comporte d’incommunicabilité et qui savent attendre la grâce.
Catholique de confession, Jacques Rigaud était intrigué par la figure de ce prêtre errant, marginal, sans paroisse qui lui rappelle les prêtres douloureux mais irradiant de foi de Bernanos. Ce prêtre va à l’encontre de la douleur et de la souffrance dans une ville monstre, organique, vivante, ce qui fait sa force.
Pourquoi la ville ? Ce lieu poétique par excellence, la beauté et l’effroi qui l’accompagnent offrent l’excitation nécessaire à Yves Simon. La nuit, protégé, il ne cesse d’imaginer le temps qui nous manque, les caresses et les chuchotements, voire le lieu ou se nouent et se dénouent les existences, les gares où on se trouve et on se quitte.
Pourquoi un prêtre ? Le monde de l’humanisme, celui de la renaissance, des lumières qui a apporté la démocratie : on le chasse. Des nouveaux mondes cyniques apparaissent. Sur la ligne de la confrontation, dans la fracture entre modernité et post-modernité, un personnage qui traverse, qui se déplace, pour qui l’argent ne compte pas, qui cherche le souffrant, un personnage qui représente l’oreille, l’écoute : le prêtre.
Tessa Ivascu fait une lecture très personnelle. Errer dans Paris ne permet pas de liens apriori. L’errance urbaine n’est ni une flânerie, ni une balade mais une errance solitaire sans partage possible accompagnée d’un danger de mort. Quand la rencontre advient, l’errance s’arrête : elle devient un parcours de vie. Sur le chemin de cette solitude on se trouve devant un mur de verre que l’on brise et dont les débris de verre couvrent notre existence comme le sable la ville. C’est le corps réel qui se dérobe lorsqu’on pense à l’errance, ce corps de référence, inchangé, rigide : les murs de la cité.