Pascale Marthine Tayou
Le titre de ces nouveaux » entretiens sur l’art » traitant de l’élargissement de la scène artistique est emprunté à un texte écrit par l’artiste camerounais Pascale Marthine Tayou.
Né en 1966, Pascale Marthine Tayou a été remarqué à la dernière biennale de Lyon ( » Partage d’exotismes « ) où il présentait une installation composée d’une vieille voiture et d’un film vidéo. Dans ce film, l’ancien propriétaire du véhicule racontait les pérégrinations de la guimbarde, achetée en Europe puis vendue en Afrique pour être utilisée comme taxi-brousse et finalement ramenée en France.
Les péripéties de cette voiture pourraient servir à illustrer la situation de nombreux artistes contemporains, de plus en plus souvent confrontés à l’expérience de la migration et du déplacement. L’accélération de la circulation des personnes et des biens accompagnant le phénomène de la mondialisation touche en effet particulièrement le milieu des artistes que les possibilités d’études et d’expositions partout dans le monde amènent aujourd’hui à voyager très fréquemment et parfois même à séjourner longuement dans différents pays.
Ce nouveau nomadisme, générateur de contacts diversifiés, transforme profondément la manière de penser et d’envisager leur travail d’artistes. Ainsi, la démarche de Pascale Marthine Tayou, dont les installations- généralement composées d’objets du quotidien urbain ramassés un peu partout – reflètent une nouvelle forme de culture faite de mélanges, d’hybridations multiples.
Pour dialoguer avec Pascale Marthine Tayou, Catherine Francblin a invité une jeune organisatrice d’expositions, Cécile Bourne. Cette dernière sera notamment conviée à parler du concept de l’exposition » in progress » qu’elle a imaginée dans le but de mettre en lumière la façon dont les différents habitants du globe pensent l’existence de » l’autre « – c’est-à-dire l’existence de celui qui, au même moment que moi, vit dans un autre contexte culturel.
Rassemblant une dizaine d’artistes originaires de divers lieux du monde, cette manifestation se poursuit encore actuellement, après avoir fait escale, entre autres, à Moscou, Bangkok et Paris.
Avec Pascale Marthine Tayou, Cécile Bourne s’interrogera sur les possibilités d’échange dont l’art est porteur, mais aussi sur les pièges et les impasses de certaines revendications esthétiques exotico-nationales. Il y sera également question de » l’oeuvre collective » présentée par Pascale Marthine Tayou dans le cadre de l’exposition » Paris pour escale » ouverte, à partir du 7 Décembre 2000, à l’ARC/Musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Le titre de cet entretien provient d’un texte de Pascale Marthine Tayou, dont les oeuvres, remarquées à la Biennale de Lyon, peuvent illustrer la situation des artistes confrontés à la migration et au déplacement. La mondialisation touche de plus en plus les artistes : dans quelle mesure ce nomadisme permet-il aux artistes d’avoir de nouveaux contacts et de modifier leurs façons de penser ?
Cécile Bourne, organisatrice d’une exposition » in progress « , veut mettre en lumière comment les individus pensent l’existence de l’autre.
CF : Pascale Marthine Tayou, comment vous situez-vous par rapport à la mondialisation ?
PMT : Au départ, je n’ai pas pensé à la mondialisation, mais aujourd’hui j’ai pris conscience du fait que je fais partie du monde. Dans mon travail, ça ne m’intéresse pas de donner un sens au monde, je veux plutôt concrétiser mes émotions : mes oeuvres sont le fruit d’émotions et de réflexions intérieures.
Je pense qu’on parle de mondialisation en tant qu’individu : chacun a une forme de mondialisation, chacun a un rapport à la mondialisation selon sa situation et sa pensée.
CF : Dans le processus de création de vos oeuvres, on sent que vous avez envie de travailler avec les gens, de rentrer en contact avec eux. » Connecting cities » qu’est-ce que c’est ?
PMT : C’est un désir, je suis fondamentalement sentimental et j’essaye de me rapprocher d’un rêve. Je tente de trouver d’autres moyens de rencontrer des gens : je veux les rencontrer par leur virtuel, leur imaginaire et leurs rêves.
CB : Il y a une volonté chez Pascale Marthine Tayou de connecter les gens entre eux, de trouver des moyens d’échange. La question de l’autre est un faux problème : positionner l’autre comme autre, ça ne va plus.
PMT : La question est comment aller au-delà de la barrière que nous construisons ? On veut du dynamisme dans nos vies, mais simultanément on crée des systèmes qui nous bloquent. On pointe la mondialisation, pourtant on vit déjà en symbiose : ce que je cherche c’est aller au-delà, c’est créer un nouveau contact : j’aime découvrir les gens.
CF : Pascale Marthine Tayou, vous savez faire de la mondialisation une chose positive. Pourtant, elle peut être une forme de non-contact. Restez-vous longtemps dans un même endroit ?
PMT : je fonctionne de façon hasardeuse, il n’y a pas de règles. Je me confronte surtout à moi-même, je me traque et me remets en question. Quand j’arrive dans un lieu, si je provoque, si je ridiculise, c’est en fait moi-même que je provoque. J’essaye de démontrer que la mondialisation, ça ne veut rien dire, c’est très personnel. Aujourd’hui on fait du voyage un concept, alors que les gens ont toujours voyagé.
CB : je rejoins Pascale dans sa volonté de privilégier l’humain. Dans l’exposition que j’ai organisée » Tu parles, j’écoute « , j’ai rassemblé autour d’un projet 10 artistes français et 10 artistes Taïwanais, qui ont travaillé 3 semaines ensemble sur le projet. Pour moi, ce qui a été particulièrement intéressant, c’est de voir comment les artistes, en amont du projet, se sont projetés, comment ils ont imaginé le voyage avec leur subjectivité. Parfois, on a une idée et en arrivant sur place, toutes nos idées initiales disparaissent. Il y a une nécéssité de travailler avec les structures sur place.
CF : Pascale Marthine Tayou, au fond, ce que vous recherchez c’est le dialogue : vous cherchez à multiplier les contacts.
PMT : pour vous, ce que j’ai voulu faire c’est le dialogue, mais, ce que je désire surtout c’est de » partager ma part » : il y a tellement d’artistes qui n’ont pas eu ma chance. Je veux que le public se sente libre : il faut qu’il s’approprie mes oeuvres : c’est le public qui dispose des clés de mes oeuvres.
CF : Que signifie » Le devenir des hommes rieurs » ?
PMT : Les hommes rieurs, c’est vous, c’est moi,…, c’est nous, dans nos prétentions, dans notre plaisir, dans nos certitudes et dans nos doutes. Le devenir de ces hommes, c’est l’ouverture aux incertitudes.