Évènement

Wim Delvoye

Mercredi 15 novembre 2000 à 19h

Wim Delvoye est cet artiste flamand qui fait délicatement sculpter par des ébénistes indonésiens des bétonnières et des camions en bois précieux.

Il est celui qui compose des mots d’amour en caractères arabes à l’aide d’épluchures de pommes de terre ou qui réalise d’élégantes marqueteries en assemblant des tranches de mortadelle et de salami.
Dérangeant, ironique, son art explore les phénomènes d’hybridation, de greffe, de contamination engendrés par la mondialisation. C’est un art  » impur  » à l’image des sociétés multiethniques de notre temps, un art qui se veut le miroir grossissant de la culture dominante d’aujourd’hui et qui, comme elle, ne craint ni l’outrance ni le mauvais goût.  » Je vis à Gand, Londres et New York ; mes pièces sont produites en Italie, au Portugal et en Indonésie. Je dirai que je suis un artiste  » glocal « . Tout le monde aujourd’hui est plus ou moins dans une situation à la fois locale et globale, mais c’est peut-être encore plus vrai pour un belge « , déclare Wim Delvoye.

Afin d’illustrer l’équation des termes  » Mondialisation / Glocalisation « , Catherine Francblin a invité l’artiste Wim Delvoye, connu pour ses camions et bétonnières lourdement décorés, ses cochons couverts de tatouage et son art ironique, impur et dérangeant qui a exploré les phénomènes d’hybridation, synonymes de sociétés multiethniques, et d’un genre artistique populaire.
Pour C.Francblin, un coup de tonnerre s’est produit avec la nouvelle oeuvre de Wim Delvoye : la machine Cloaca, fruit d’un investissement d’un an de l’artiste et de scientifiques, machine dont l’unique but  » semble-t-il  » est de produire de la matière fécale. Selon C.Francblin, cette machine n’est pas un concept, elle permet au contraire une expérience peu commune, car elle fonctionne vraiment et produit de réels excréments. Cette machine n’est ni décorative, ni expressioniste, elle incarne plutôt la biotechnologie du 21ème siècle, son logo  » Cloaca  » s’inspire des logos de Ford et Coca-cola.

CF : Wim Delvoye, cette machine est-elle un tournant dans votre travail ? Doit-on cesser d’associer votre oeuvre à la culture populaire et aux références plébéiennes ?

WD : Quand on travaille avec de la matière fécale, on parvient au summum du plébéien, et on atteint le degré le plus cosmopolite et internationaliste. J’ai quitté l’aspect ethnique pour une machine plus universelle, qui est, en fait, l’aboutissement ultime de mes obsessions plébéiennes et scatologiques.

CF : Cloaca est visuellement différente de vos autres oeuvres, comment fonctionne-t-elle ?

WD : J’aime l’idée qu’une pièce d’art doive être nourrie et soignée pour rester vivante. Ainsi, avec les cochons, il y avait déjà l’idée de la machine. Cloaca est une machine très complexe, qui fonctionne avec de l’électricité, des enzymes, des bactéries et de nombreuses protéines ; elle consomme toute cette énergie, sans en redonner, car je ne veux rien gagner avec cette machine, je veux simplement qu’elle produise de la merde. 2 fois par jour, elle est nourrie par un traiteur qui lui confectionne un menu : il y a une idée de sacrifice, car Cloaca est nourrie comme un roi, contrairement aux personnes qui l’entourent et qui se contentent, eux, de manger un sandwich.

PS : Avec Cloaca, il y a une continuité dans le travail de Wim : en effet, il a toujours travaillé sur des questions de goût et sur l’association de 2 codes : un code noble et un code vulgaire. Ainsi, avec cette machine, on est à l’apogée de l’attractif / répulsif, la gastronomie / la merde. Cependant, quelquechose s’est produit : pour la première fois, Wim a crée une  » machine célibataire « . Cette machine, qui s’inscrit dans la tradition des sculptures métastables, produit  » des quantités intensives à l’état pur à un point presque insupportable, une misère (la merde) et une gloire (la technologie) célibataires toutes les deux…. « , selon les mots de Gilles Deleuze ; Deleuze, nous donne une enthousiasmante explication de Cloaca en nous disant que  » l’opposition des forces d’attraction et de répulsion produit une série ouverte d’éléments positifs… « .

CF : Les éléments positifs, dont parle Deleuze, seraient donc, chez Wim Delvoye, les étrons conservés pour l’éternité. D’autre part, la machine célibataire parle de sexualité ; est-ce-que Cloaca évoque la sexualité ?

WD : Cloaca neutralise la différence de sexe : c’est une machine sans organes, où la notion de plaisir n’existe pas : on est dans le clinique. Il n’y a ni plaisir gastronomique, ni plaisir fécal.

CF : Nous avons évoqué Tinguely, qui a toujours mis en évidence des machines qui avaient des râtés, des machines qui s’auto-détruisaient : Wim n’êtes-vous pas plus sérieux que Tinguely, de la même manière que notre époque est également plus sérieuse ?

WD : Une machine est l’expression d’une créativité, un peu enfantine, mais Cloaca a été faite par des entreprises sérieuses, des scientifiques et j’ai eu, avant tout, une volonté d’honnêteté. .

CF: Pourquoi avez-vous eu l’idée d’une machine à merde, Wim Delvoye ?

WD : On ne commence jamais à faire quelquechose par un  » pourquoi « . Originellement, l’idée était de dépenser beaucoup de temps, d’argent et d’efforts pour arriver à rien. Je voulais donner de l’attention et de l’amour à quelquechose qui ne vaut rien. De plus, je veux mettre cette pièce d’art sur le marché de la bourse, ainsi la boucle est bouclée : merde / art / argent ; je veux redonner, ce qui appartient à tout le monde (la merde), à tout le monde : les gens pourront acquérir des actions et devenir co-propriétaires de Cloaca.

Intervenants

Wim Delvoye
Pierre Sterckx

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre