Franck Scurti
Pascal Beausse reçoit l’artiste Franck Scurti.
Pour cette nouvelle séance In Situ & In Vivo – Entretiens sur l’art, Pascal Beausse reçoit l’artiste Franck Scurti, à l’occasion de sa monographie, Home-Street-Museum, à paraître aux Presses du réel.
Qu’est-ce que l’œuvre de Scurti ? Ni la seule dégradation des formes autorisées du Bel Art ; ni l’unique valorisation de ce qui n’y a pas droit de cité ; mais l’incessant va-et-vient de l’une à l’autre. Le curseur se déplace, dans un sens ou dans l’autre selon les pièces, sur une ligne dont les deux extrémités sont la rue et le musée. Pareille œuvre incarne exemplairement ce moment de l’histoire où l’art, pour rester fidèle aux exigences léguées par les avant-gardes du XXe siècle, ne trouve à se définir que dans un entre-deux, en cette zone incertaine où se rejoignent les deux mouvements – de la vie vers l’art, de l’art vers le non-art.
Deux sens, deux vectorisations, mais une seule ligne. C’est elle qui donne sa cohérence conceptuelle à une œuvre qui a pris le risque de ne pas en avoir à hauteur formelle, de demeurer sans identifiant visuel. En 2006, l’artiste trouve dans la rue un faux rocher en résine, comme ceux parfois utilisés pour décorer les vitrines des magasins. Sur cette fausse pierre, il grave la formule qui donne son titre à la pièce : « I Rent This Place ». Scurti n’a pas l’âme d’un propriétaire. Il n’est pas le détenteur d’une forme, c’est pourquoi il ne sait jamais ce qu’il va faire. Il ne possède en propre que son nom. Aussi lui arrive-t-il d’en faire une œuvre : « What’s My Name » (Trottoir gris / Mur blanc) ou Snake Sign (1997), savoureux tableautin, un collage sur papier, qui reproduit sa signature en peau de serpent. Comme le dit le rocher, il loue, pour une occasion donnée, tel emplacement de l’histoire de l’art, pour en changer à la suivante. Assurément, son art n’est pas réductible au parcours qui vient d’en être fait. Bien de ses pièces seraient, à coup sûr, justiciables d’une autre lecture. Mais c’est la double vectorisation qui anime son œuvre, entre art et non-art, qui lui vaut une place singulière dans le paysage de l’époque, là où entrent en synergie les deux grandes dynamiques contradictoires des avant-gardes du siècle passé – l’art n’a pas de raison d’être, tout peut devenir de l’art -, là où, dans l’engrenage, les dents de roues tournant dans des sens opposés se rencontrent pour concourir à un commun mouvement.
Extrait du texte de Michel Gauthier, « Franck Scurti ou la politique du curseur »