Entretiens sur l'art avec Anne Le Troter
Confiés depuis 2021 à la critique et commissaire Jill Gasparina, les « Entretiens sur l’art » qui, depuis plus de 20 ans, dessinent une formidable collection de paroles d’artistes, scruteront désormais avec attention la matérialité et les conditions d'émergence des œuvres des artistes invités.
Dans le travail d’Anne Le Troter, et même s’il est un peu artificiel de présenter les choses ainsi, il y a le fond et les formes. Pour ce qui est de ces dernières, on retrouve des installations et des pièces sonores (qui donnent souvent à entendre des groupes qui parlent), des installations vidéo, des éditions, des performances, du théâtre. Parfois, des dessins. Ces médiums de prédilection indiquent que l’héritage à partir duquel elle a travaillé à l’élaboration de son œuvre est éclectique : s’y croisent la poésie sonore, l’art conceptuel, la chorégraphie, comme les arts de la scène. Elle mêle aussi avec une certaine malice les registres, du plus tendre au plus raide.
L’un de ses toutes dernières pièces, intitulée Racine, Pistil, a été présentée sur la péniche La Pop sur le bassin de la Villette à l’été 2024. Elle proposait une écoute basée sur la conduction osseuse qui consistait, grâce à une brindille dans la bouche, à se connecter physiquement à une sculpture pour entendre depuis l’intérieur de son corps les murmures lascifs de la Pornoplante, un personnage végétal en pleine maturation sexuelle, fluide, inventé par l’artiste lors d’une résidence à la Bergerie Nationale de Rambouillet en 2019.
Des situations de réception ou d’écoute singulières qu’elle met en place, et dont cette dernière n’est que le plus récent et spectaculaire exemple, on peut ainsi déduire qu’Anne le Troter s’intéresse de tout près à aux dispositifs de contrôle qui régulent la tenue des corps comme la circulation de la parole, mais aussi, à l’inverse, aux formes de soin, ou plus largement à toutes les espèces de refuges où se déjouent les logiques productivistes et extractivistes de l’économie de marché. L’artiste, qui a jadis travaillé comme enquêtrice téléphonique, sait que la voix peut être un outil du capitalisme. Ou tout le contraire : un lieu de subversion, d’imagination, de partage, de plaisir.
Anne Le Troter est née en 1985, elle vit et travaille à l’Île-Saint-Denis.