Génération Chaos
Michel Maffesoli a choisi pour ce rendez-vous de l’imaginaire le thème Génération Chaos, titre de l’ouvrage de Christophe Bourseiller, qui sort ce mois-ci.
Le débat s’appuiera sur la présentation de cet essai qui décrit comment dans les années 1970, le punk et la new wave réactualisent l’expérience des limites dans une authentique révolution culturelle. Place au chaos, au grouillement intellectuel, au fourmillement existentiel?Il s’agit en tout cas d’un « creuset » où se concoctent des comportements préfigurant les modes de vie post modernes.
Ce débat réunira Christophe Bourseiller, écrivain et journaliste, Olivier Penot-Lacassagne, spécialiste d’Antonin Artaud, et Panagiotis Christias, chercheur à la Sorbonne.
« Génération Chaos », telle est la thématique abordée dans cette rencontre organisée à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Christophe Bourseiller qui rend hommage au séisme d’une véritable révolution culturelle : le Punk et la New Wave. En ouvrant le débat, Michel Maffesoli montre l’évidence des diverses modalités de cette « génération » : un mouvement de fond dans lequel se constitue un sens, un forme, en référence au psychomorphisme de Spengler, qui se reproduit et s’accentue. Une ‘punkitude’ comme célébration de la vie, qui envahit le champ culturel avec une forme d’intensité, un foyer d’idées nouvelles qui renvoie bien à la typicité de la tribu. Dans la « tribu punk » l’on retrouve aussi le signe de l’importance du primitif, de cette reprise en charge de la primitivité, élément qui caractérise les diverses tribus postmodernes. Punk qu’il faut penser comme creuset, comme dit Maffesoli, où se concoctent des comportements préfigurant les modes de vie postmodernes. Mais à ce propos, faut-il encore parler de révolution ? Ce que nous propose Maffesoli est plutôt de penser le mouvement punk en terme de grouillement culturel ou, ajouterons-nous, de grouillement existentiel dans lequel on retrouve une pulsion de vie, une énergie vitale. Une énergie et une pulsion qui se traduisent en particulier dans la scène musicale anglo-saxonne et qui vont contaminer d’autres formes culturelles, notamment le cinéma, la mode ou l’art. Un style, celui du punk, qui s’incarne principalement dans l’ « oeuvre noir » des Sex Pistols, comme le dit Olivier Penot-Lacassagne et dans lequel on retrouve également une forte influence référentielle à Antonin Artaud. En fait, le mythe d’Artaud se dissémine dans les diverses avant-gardes, dans la culture et la contre-culture et le titre énigmatique « Antonin Artaud » d’une chanson du groupe Bauhaus de Daniel Ash et Peter Murphy, dans leur album Burning from the Inside de 1983, témoigne de l’inspiration de l’image frappante d’Artaud. Dans cette « génération chaos », il est aussi question de focaliser l’attention sur l’élément de l’extrême comme principe de l’organisation des mouvances. Élément qui trouve, pour Panagiotis Christias, une analogie (osée) avec la pensé hellénique, dans la spécificité de la pratique de l’heresis comme choix de vie. Donc, faire un choix en dehors de la doctrine, chercher quelque chose de nouveau et de cette manière, les pratiques musicales deviennent un vecteur d’organisation, une vision du monde pour comprendre la société. De ce fait, voir le punk comme style de vie nous amène à une analyse particulière de la société : celle de l’instant vécu, de cette noirceur, de la colère qui forment les caractéristiques de cet esprit communautaire, de ce mode d’être existentiel. C’est cela qui nous pousse, à l’instar de Christophe Bourseiller, à nous intéresser au monde dans sa diversité, au pluriel, au morcellement fascinant. S’intéresser donc à l’observation des mouvements minoritaires, au Punk, à la New Wave, comme forces motrices qui naissent dans les marges. Mouvement qui pour Bourseiller s’apparente, sur un angle culturel, à la structure surréaliste dans le sens d’une forte contamination esthétique dans lequel, à côté d’une génération de musiciens (Ian Cartis, Johnny Rotten, Sid Vicious, Johnny Thunders, Joe Strummer), on retrouve également des cinéastes (David Lynch, Amos Poe, Julien Temple), des stylistes (Vivienne Westwood, Jean-Charles de Castelbajac) et des plasticiens (Kiki Picasso et les young british artists). Tous, dans le fond, partagent la même vision : exit le Grand Soir, adieu les bons sentiments, les nobles causes et le rêve communiste. La place est alors à la noirceur, à une réaction face à l’utopie de 68, à une envie de suicide collectif. Il y a dans cette génération un retour aux sources, à l’extrême absolu, à l’autodestruction. Une vision qui s’accompagne d’une vie quotidienne déréglée qu’incarne le néant, le no future des Sex Pistols, mais aussi le retour au sacré sombre de Ian Curtis et ses Joy Division. La bonne intention de Bourseiller est tout de même de rendre hommage à cette révolution culturelle, à ces générations capables de créativité, d’une fascination de l’intensité désespérée, d’une dérision tragique. Éléments qui sont donc fondateurs d’une manière de vie et d’une manière d’être tout en prenant en compte le monde tel qu’il est. Il faudra pourtant arrêter de penser ce mouvement emblématique d’une époque comme quelqu’un qui s’obstine encore à le croire et à le faire, comme simplement ludique, sans but, sans relation (dans une conception des avant-gardes un peu réductrice) entre masse et politique ! Le Punk avec l’intensité tragique qu’il exprimait, était une « marque » caractéristique d’une révolte contre la société, d’un refus du politique, une position sociale qui refusait les codes canoniques de la société. Une esthétique fondée sur la spontanéité, sur le rejet du système normatif, qui allait contre le mercantilisme et qui avait un goût pour la provocation, le marginal, l’exclusion. Un moyen d’expression « sauvage », une insurrection permanente contre l’état des choses, contre le bon goût et le confort de la société bourgeoise et qui trouve, dans le style musical et l’allure vestimentaire, les signes et les symboles de son expression : détruire les règles, les schémas, en cherchant de cette manière à subvertir la monotonie quotidienne urbaine.
Fabio La Rocca GRIS – CEAQ